jeudi, juin 29, 2006

Père manquant, fils manqué ?

Aujourd'hui, j'avais envie de revenir sur un sujet qui me tient à coeur: Il est question de l'absence du père, que j'ai vécu quand j'étais petit.

Sur le moment, curieusement, cela ne m'a pas trop gêné. J'en étais même assez fier. Rendez-vous compte : avoir son Papa "mort pour la France", c'est la voie royale pour être considéré de façon un peu privilégiée par ses instituteurs puis ses profs, et pour bénéficier d'un statut un peu à part pour ses copains de classe.

Mais quand j'y repense maintenant, il est certain que ca a dû me manquer quand même un peu. Ce que je vais raconter ci-dessous correspond au moment où je devais avoir 10 ou 12 ans, ce n'est pas une construction intellectuelle faite a posteriori, preuve que à l'époque, ça me travaillait quand même...

Ca fait des mois que je monte régulièrement dans ce grenier surchauffé. Un grenier ? Un peu trop "rangé" à mon goût. Il n'a pas cette puissance d'évocation que l'on découvre dans ces amas de vieilleries qui d'ordinaire peuplent ces espaces délaissés des maisons. Mais chez moi, tout est rangé. Trop rangé.

J'ai 12 ans. Je suis un petit garçon bien sage, bien obéïssant. Je suis très formaté. Trop formaté. Un petit blond aux cheveux courts, avec une raie à droite, bien marquée. Je m'ennuie souvent, je rêve, je me désespère en attendant je ne sais quoi. En attendant mon père sans doute. Je crois qu'on ne m'a jamais dit clairement qu'il ne reviendrait pas. Ce n'est pas qu'il ne veuille pas, mais il ne peut pas. Ca, je l'ai bien compris en revanche. Compris intellectuellement, mais pas assimilé. Je suis persuadé qu'on me ment, qu'il est partit, qu'il n'est pas celui que l'on me montre parfois sur une photo toute grise d'un homme trop sérieux, en uniforme, qui ne sourit pas. Je ne lui trouve aucune ressemblance avec mes traits. Il est brun, je suis blond. Pour le reste, je suis trop petit pour chercher des traits communs.

Bref, toujours est-il que je suis là à m'ennuyer à longueur de temps, à ne pas oser demander quoique ce soit à ma mère pour, sans doute, éviter les réponses. Pour éviter l'affrontement aussi, ou même juste ne rien demander pour qu'elle n'ait même pas à me dire non. On m'a tellement dit qu'elle avait beaucoup de courage, qu'elle n'avait pas une vie facile. Et je le sais. C'est vrai.

J'ai appris en même temps qu'elle que son mari était mort. En même temps qu'elle, parce que quand c'est arrivé, j'étais en elle. Depuis à peu près trois mois. Trois petits mois. Est-ce qu'on ressent quelquechose quand on est encore "à naître", quand on a encore six longs mois à passer dans le ventre d'une mère qui veut rester digne, parce qu'elle ne peut pas se payer le luxe d'une depression, parce qu'avant de penser à elle, à moi, elle doit aussi penser aux cinq frères et soeurs déjà là et dont il va bien falloir s'occuper seule désormais.

J'ai écrit "son mari" parce que je n'ai jamais dit "Papa". Je ne sais pas ce qu'on ressent quand on dit "Papa", même si c'est pour dire "Papa, tu me fais chier".

En Algérie. Il serait mort en Algérie. A Batna. Pour la France. D'une balle perdue. Je me marre... Une balle perdue ?? Ce sont justement les seules qui servent, ces "balles perdue". A quoi serviraient-elle d'autre ? Juste à faire du bruit ? Juste à faire peur ?

Toujours est-il que j'ai 12 ans et que j'en ai vraiment marre. Ce que je cherche dans ce grenier dans lequel il fait au moins 40 degrés en cet été 1972, c'est une arme. J'ai envie qu'une autre balle se "perde". Après tout, on en est plus à une près. Dans ce grenier trop rangé, j'ai beau fouiller, je ne trouve pas ce que cherche depuis si longtemps. j'ai retrouvé des lettres, des uniformes, un étui pour une arme de poing, mais pas d'arme.

J'ai lu ces lettres. Ecrites par mon père à ma mère, presque chaque jour, lorsqu'il était en Indochine, au Maroc, en Algérie. Je suis content d'apprendre que la veille de sa mort, il commençait à retrouver la forme. Celà faisait quelques semaine qu'il était en poste après un long séjour à Paris. "Demain, nous partons dans les Aurès pour une mission de maintien de l'ordre. Tout va bien, je suis très bien entouré et l'ambiance est bonne".

Pfff. Bonjour l'ambiance, il a raison. Le lendemain, il recevait une balle dans l'abdomen. 2 jours après, il décédait à la suite de ses blessures. Merci.

Alors, si je pouvais trouver une arme, j'irais, moi, lui dire ce que je pense de tout ça...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Comme je te comprend, j'ai moi aussi grandi sans mon père, dédédé quand j'avais 3ans, au déaprt on ne ressent pas de manque, je me demande encore si il me manque, maintenant je ne vais pratiqument plus sur sa tombe, pas que j'ai peur de souffrir, de pleurer, ajamis pleurer devant lui mais je pense qu'inconsciement notremental souffre et fait que l'on se pose des question, qu'il nous manque quelque chose qu'on ne sait dire, qu'on sait sentir....ton article me touche énormément et c'est beau que le mette sur texte, merci :)